Parmi les machines de guerre dont le nom est devenu célèbre, peu sont entourées d’une aura de peur, d’un respect et d’une réputation bien supérieure à leur nombre opérationnel. Introduit en service actif en 1942, le Tigre a immédiatement projeté l’aura d’une force blindée invincible. Néanmoins, au delà de cette aura se cache un parcours chaotique. L’historique du char allemand est en effet d’une rare complexité. Avant de devenir la puissante machine de guerre qui fera régner la loi de son canon de 88mm sur les chars alliés, le Tigerprogramm va devoir surmonter tellement d’écueils que l’on peut presque considérer que son aboutissement tient du miracle ou de la volonté d’un seul homme : Adolf Hitler.
La genèse du Tigre commence au milieu des années 1930 dans une armée allemande en pleine reconstruction. Le Panzerkampfwagen VI découle de la volonté de s’équiper d’un char de combat supérieur en tout point à ses adversaires connus ou présumés, notamment le très résistant char lourd français B1. Ce dernier pesant 28 tonnes et équipé d’un canon de 47mm en tourelle et d’un canon de 75mm en chasse est, sur le papier, largement supérieur à tous les chars en construction au sein de la Panzerwaffe, même le futur char d’accompagnement Panzer IV dont les premiers prototypes sortent à peine des chaînes de productions.
La mise au point d’un char avec un canon de gros calibre, sur un châssis robuste tout en ayant un moteur puissant, le tout protégé par un épais blindage pour 30 tonnes sur la balance reste toutefois un challenge difficile pour les ingénieurs. Les industries allemandes ne disposant pas de toutes les technologies nécessaires pour la conception d’un blindé lourd, notamment en ce qui concerne la motorisation. Or sans moteur adapté, le véhicule n’a que peu de chance de sortir des planches à dessins. A quoi bon imaginer un char, s’il ne peut pas se déplacer efficacement ni même suivre le rythme des Blitzkrieg ?
En l’état, l’ingénierie terrestre ne peut fournir de solution appropriée. Il est alors envisagé d’équiper le futur panzer lourd avec un moteur d’avion prélevé à la Luftwaffe. Combinant puissance et fiabilité, le moteur d’avion semble être la solution miracle. Ce projet présente toutefois des inconvénients majeurs. D’une part, la greffe de tels blocs oblige à considérablement renforcer les organes de transmission pour encaisser le couple important. D’autre part, les tailles imposantes de ces moteurs impliquent un compartiment moteur plus vaste pour les accueillir. Autrement dit, maintenir le char sous la barre des 30 tonnes devient impossible. Les ponts routiers européens ne pouvant supporter plus, le char deviendrait tributaire des transports ferroviaires et des unités de Génie, qui de toute façon ne disposent pas des matériels nécessaires. La perte de mobilité stratégique serait telle que l’intérêt de disposer d’un char lourd deviendrait plus que relatif dans une armée allemande privilégiant la mobilité de ses forces.
Alors les ingénieurs envisagent de faire subir au projet une cure d’amaigrissement. Ainsi, le blindage est revu à la baisse, tout comme l’emport en munition et en carburant. Mais alors pourquoi construire un char lourd s’il n’apporte rien de plus qu’un char moyen ? La voie du moteur d’avion se termine donc par un cul de sac.
Les ingénieurs ne s’avouent pas vaincus pour autant et décident de fabriquer entièrement ce moteur dont à tant besoin ce char lourd. La firme Maybach Motorenbau est sollicitée. Pour assurer une bonne mobilité au projet, le futur moteur doit développer 600cv minimum. Pour une industrie lourde en pleine sortie de crise économique, cela représente une véritable prouesse technologique, prouesse qui est envisagée moyennant 2 à 3 ans de travail et de recherches. Un délai supplémentaire doit ensuite être prévu pour parfaire la mise au point. Le 28 décembre 1935, un calendrier est confirmé aux responsables du projet. Pour autant, cette longue mise au point n’a rien de rédhibitoire pour les autorités allemandes qui pour l’instant ne savent pas trop quoi faire de leur projet de panzer lourd. Une situation d’attente qui arrange finalement tout le monde : les ingénieurs ont le temps de plancher sur leur nouveau moteur tandis que les stratèges réfléchissent aux doctrines d’emploi d’un tel véhicule de combat au sein de leurs forces armées.