Premier jet


La doctrine anglaise des années 1930 classe encore les blindés en trois catégories : les Light Tanks, destinés à la reconnaissance ; les Cruiser Tanks, pour l'exploitation des percées ; et enfin les Infantry Tanks, dont le rôle est d'appuyer les fantassins en détruisant les obstacles, comme des fortifications ou des nids de mitrailleuses, dressés sur leur chemin. De ce fait, ces derniers sont tenus d'être fortement blindés, tout en bénéficiant de capacités en tout-terrain suffisantes pour suivre les soldats à pied, quelle que soit la topographie.

En septembre 1939, s'inspirant des combats ayant eu lieu dans la Somme, pendant la première guerre mondiale, l'Etat-Major ( General Staff ) rédige les spécifications d'un véhicule d'infanterie lourd susceptible de percer la ligne Siegfried. En effet, cette succession d'ouvrages bétonnés est appréhendée comme le rempart protégeant le III Reich des troupes anglaises et françaises, à la manière de la ligne Maginot.

La ligne Siegfreid : réplique allemande de la ligne Maginot française
La ligne Siegfreid : réplique allemande de la ligne Maginot française

Dans le même temps, le potentiel des Matilda et autres Valentine est jugé trop limité pour œuvrer dans une telle configuration. Le blindé imaginé possédera donc une cuirasse frontale de 60 mm, en vue d'encaisser les perforants de 37 mm du canon antichar Pak 36 allemand. Par ailleurs, il bénéficiera d'un canon à haute vitesse de 40 mm ou d'une pièce à plus faible vélocité de 95 mm. Le déplacement d'un homme à pied s'établissant à 8 km/h, une vitesse de 15 à 16 km/h est recevable. Seule la mobilité, tout comme une pression massique raisonnable, est considérée comme prépondérante. Effectivement, les performances affichées doivent être suffisantes pour s'affranchir de tous types de terrains rencontrés, naturels ou bouleversés par les batteries d'artillerie ennemies, et de tous les climats : il n'est pas envisageable qu'un hiver rigoureux, comme ceux rencontrés en Allemagne, bloque la progression du char.

Les Valentine et Matilda sont jugés obsolètes face aux panzers
Les Valentine et Matilda sont jugés obsolètes face aux panzers

L'emplacement de l'armement est maintenant à définir. Plusieurs configurations sont donc proposées : en nacelle, comme lors de la première guerre mondiale, en casemate avec le tube installé en position frontale, ou en tourelle, pivotant sur 360°. Finalement , un mélange de toutes ces solutions est retenue : le futur Infantry Tank est pourvu d'une tourelle de Matilda dotée du 40 mm et d'un 76,2 mm positionné sur l'avant de la caisse. Enfin, deux mitrailleuses Besa sont implantées dans des nacelles latérales. Clairement, le jet initial est inspiré du char Mark VIII qui foula le champs de bataille pendant la "Der des Ders".

Le 25 septembre 1939, une maquette en bois est finalisée. Cependant, la situation militaire en Europe vient de se dégrader avec la victoire fulgurante de la Wehrmacht sur la Pologne. Quatre char de présérie en acier doux sont alors commandés le 28 octobre sous la dénomination d'Infantry Tank Mk IV (A20). L'entreprise est ambitieuse, avec une cadence mensuelle de 50 à 100 machines dès le début de l'année 1941.

Première ébauche du projet d'Infantry Tank A20
Première ébauche du projet d'Infantry Tank A20

Livré sans armement, et surtout bien trop rapidement, le prototype est logiquement perclus de défauts. La fiabilité de son moteur diesel de 300 cv est, au mieux, douteuse. En outre, la boîte de vitesse présente de graves dysfonctionnements. Vauxhall Motors est dans ces conditions chargé d'élaborer un nouveau bloc propulseur et est nommé maître d’œuvre du programme dans son entièreté.

Sur ces entrefaites, il est demandé de remplacer le canon de 40 mm initialement prévu par un 57 mm, plus efficace contre les points d'appui, mais toutefois nettement plus volumineux, ce qui impose de redessiner la tourelle. Cette greffe constituerait une montée en puissance certaine mais le canon de 57 mm n'est toujours pas au point. De surcroît, la caisse de l'A20 est dans l'obligation de respecter un gabarit précis lui permettant d'être transporté par voie ferrée. Dès lors, les ingénieurs n'ont pas toutes latitudes en ce qui concerne les dimensions et le poids. Les restrictions en largeur empêchent d'adapter un puits de tourelle plus grand, restreignant par là même la taille de celle-ci et, par ricochet, les mensurations de l'armement embarqué.

Le démonstrateur reçoit une tourelle de Matilda
Le démonstrateur reçoit une tourelle de Matilda

Assemblée par Vauxhall, la dernière mouture, pesant quelque 40 tonnes avec un équipage de 7 hommes, est finalisée fin 1940. Entre-temps, la situation stratégique a bien changé. Il ne s'agit plus de se battre de le no man's land situé entre la ligne Maginot et la ligne Siegfreid, puis de foncer au cœur de l'Allemagne, mais de résister au débarquement de la Wehrmacht sur les côtes anglaises. D'offensive, la stratégie de Londres est passée à la défensive. L'enjeu est de survivre, tout simplement.


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