Le projet est réactivé en janvier 1937 lorsque Maybach annonce que les recherches de ses motoristes avancent plus vite que prévu. Sur le papier, le nouveau moteur semble tenir ses promesses. A présent, l’élaboration du véhicule en lui même reste à faire et la firme Henschel est alors sollicité pour fabriquer un châssis expérimental d’un poids de 30 tonnes. Cette limite de poids représentant grosso modo la charge maximale admise par les ponts européens. Pour l’instant, il ne s’agit pas de se lancer dans une construction en série mais plutôt de mener des expérimentations destinées à dégrossir les grandes lignes du projet du Panzer lourd.
Dans un même temps, les usines Krupp doivent élaborer une tourelle équipée d’un canon de 75mm long de 24 calibres et d’une mitrailleuse MG34 en coaxial. Pour l’époque ce tube de 75mm affiche des performances balistiques intéressantes mais son véritable point fort réside dans la puissance de ses obus explosifs. De toute façon, il est initialement prévu que ce sera le Panzer III avec son canon de 37mm qui prendra à partie les chars ennemis. Le futur char lourd est donc tout indiqué pour devenir char d’escorte pour réduire les points d’appuis dressés devant les chars moyens. Les Allemands se rendent toutefois compte que le Panzer IV, équipé lui aussi d’un canon de 75mm est tout à fait apte à tenir ce rôle. Alors que faire de l’engin en gestation dans les bureaux d’études ?
Le 12 mars 1937, le char en projet change de rôle et est classé comme char d’accompagnement d’infanterie. Comme les chars FCM 2C ou B1-bis français, sa mission est donc de s’attaquer aux fortifications ennemis et plus particulièrement la ligne Maginot, considérée encore comme un obstacle majeur pour une invasion de la France. Le 18 avril de la même année, il prend la dénomination de Durchbruchwagen (DW) et est considéré comme un char de rupture. Mais pour l’instant le projet de panzer lourd s’enlise. Si Henschel avance rapidement sur le projet, Krupp a beaucoup de mal à tenir les délais. Il faut dire que Krupp fabrique déjà la totalité des tourelles des panzers en service. Alors pour gagner du temps, les ingénieurs dessinent une tourelle fortement inspirée de celle équipant le Panzer IV. Mais elle ne pourra être livrée qu’en mai 1939...
Les essais commencent donc avec le châssis expérimental de Henschel, dénommé DW1, le 9 septembre 1938, sans tourelle, cette dernière étant remplacée par une gueuse. Conformément au cahier des charges, la cuirasse frontale du prototype mesure 50mm d’épaisseur, soit plus de 3x plus épaisse d’un Panzer IV avec ses 14,5mm. Les ingénieurs estiment qu’ainsi le DW1 est à l’abri des obus antichars nationaux de 37mm et donc par extrapolation à la pièce de 25mm antichar française. Théoriquement, cette cuirasse doit lui permettre de s’approcher à courte distance des fortifications ennemies pour les détruire à l’obus explosif.
Dans le domaine de la motorisation, l’engin est pour l’instant équipé d’un Maybach HL 120TR fort de 280cv. Ce bloc de 12 cylindres en V permet au char d’atteindre la vitesse maximale de 35km/h sur route. En plus d’afficher des performances respectables, ce moteur brille par sa fiabilité et son endurance. Cette solution n’est toutefois qu’une transition vers des moteurs plus puissants qui se grefferont dans les entrailles des panzers lourds. Pour un premier jet, le DW1 présente des qualités dynamiques encourageantes.
Un deuxième prototype de 33 tonnes est également livré pour des tests fin 1938. Baptisé DW2, le prototype est encore loin du char qui écumera les plaines africaines et européennes, mais il donne une série de pistes qui débouchent, début 1939 vers le lancement d’un nouveau programme nommé VersuchskraftFahrzeug 30.01 ( VK 30.01) pour véhicule expérimental de 30 tonnes, numéro 1.
Le cahier des charges stipule un équipage de 5 hommes et un armement basé sur un canon de 75mm court et de 2 mitrailleuses MG34. Reprenant la base du DW2, les bureaux d’études de Henschel se mettent rapidement à l’oeuvre sur le VK 30.01 (H), le H étant évidement l’initiale de Henschel. De leur coté, les motoristes de Maybach ne chôment pas non plus. Le nouveau prototype est ainsi équipé d’un bloc inédit de 300cv, jugé encore trop peu puissant. Pour ne pas avoir à retravailler le châssis, le compartiment moteur est dès l’origine prévu pour accueillir un Maybach de 400cv. La suspension est à galet de roulement croisés, comme le futur Tigre, avec barre de torsions transversales simples. Ce système, déposé par Porsche, permet de mieux répartir la masse de 32 tonnes de l’engin et donc de favoriser sa mobilité sur terrain peu porteur.
Le 24 novembre 1939, soit près de 3 mois après l’invasion de la Pologne et la déclaration de guerre de la France et de la Grande Bretagne, les autorités allemandes donne un coup d’accélérateur au projet de panzer lourd. Krupp doit alors fournir suffisamment de pièces pour la fabrication de 3 coques de VK 30.01 (H). Dans l’urgence le commandement allemand prend alors la décision de valider les plans du véhicule sans qu’aucun engin n’ait effectué le moindre essai. Krupp doit également remanier sa tourelle inspirée du Panzer IV pour l’intégration dans le nouveau châssis.
Le 29 janvier 1940, la Wehrmacht commande 6 engins de pré-série pour les engager sur le front dans les plus brefs délais. Des ingénieurs de chez Henschel et Maybach doivent alors suivre leurs panzers sur le terrain pour remédier «en direct» aux éventuels défauts de jeunesse. Cette précipitation, organisée en partie par Krupp qui veut réaliser de mirobalants contrats avec la Wehrmacht, ne résiste heureusement pas à l’analyse à froid du commandement allemand. Tout d’abord, le Führer en personne souhaite que les futurs chars lourds soient équipés de canons à haute vitesse initiale.
Ensuite, les Finlandais livrent aux Allemands des informations sur le char lourd soviétique KV-1. Encore très mal connu, ce blindé, dont la masse est estimée à 45 tonnes, surclasse sans peine les panzers moyens. Le VK 30.01 (H) ne semble guère mieux armé pour lui tenir tête. Partant de ce constat, le Tigerprogramm change de philosophie. Le concept du char de percée ( ou de rupture ) évolue vers celui du char de combat fortement protégé. Son rôle n’est plus d’écraser les fortifications ennemies, mais d’engager et de détruire les chars adverses à longue portée.
La désignation officielle change ainsi en Panzerkampfwagen VI, littéralement «char de combat» le 31 octobre 1940. Les commandes initiales sont annulés et les tourelles déjà fabriquées sont stockées. Elles seront déployées en statique sur le Mur de l’Atlantique au printemps 1944. La carrière du VK 30.01 (H) ne s’arrête pas là mais ceci sera l’objet d’une autre chronique.