Dans les années 1880, lors de tests visant à faire détonner des blocs d'explosifs contre des plaques d'acier, l'ingénieur américain Munroe remarque que ces plaques présentent une destruction prononcée sur un petit point de leur surface tandis que le reste est simplement déformé par l'effet de souffle. Reproduisant l'expérience plusieurs fois, il s'aperçoit que la zone détruite correspond à un évidement présent sur le bloc d'explosif, en l’occurrence le nom gravé du fabriquant. Cette découverte prend alors le nom "d'effet Munroe", sans que l'on sache vraiment quelle application tirer de ce phénomène.
L'apparition des "Tanks" sur les champs de bataille de la première guerre mondiale représente un véritable choc pour les fantassins confrontés à un adversaire contre lequel ils sont pratiquement désarmés. L'expérience et le courage des soldats vont prouver que les chars ne sont pas des mastodontes invulnérables. Mais si l'utilisation des canons de campagnes en tir tendu et les bricolages à base de munitions desserties et remontées à l'envers permettent de lutter contre les chars, il n'en reste pas moins vrai que les fantassins ne disposent d'aucune arme réellement efficace pour en venir à bout.
Dans les années 1920, alors qu'il devient évident que les blindés représentent une menace contre lequel l'infanterie va devoir combattre, "l'effet Munroe" revient sur le devant de la scène. Au début, les ingénieurs et militaires savaient que le procédé était efficace, mais personne n'avait réellement pris le temps de l'expliquer d'un point de vue scientifique. Les différentes expérimentations lancées dans les années 20 et 30 permettent de déterminer la forme optimale de l'évidement : un cône inversé.
Le procédé consiste donc à faire exploser une charge relativement faible en dirigeant la plus grande partie de son énergie vers l'avant pour focaliser en un point où la température extrêmement élevée produit un jet d'une telle intensité qu'il transperce le blindage. L'ingénieur allemand Neumann apporte sa contribution en garnissant d'une mince feuille métallique, du cuivre par exemple, la face interne du cône creux. Une modification simple mais qui décuple les capacités de perforation de l'ensemble. Cette munition prend alors le nom de charge creuse ou HEAT pour High Explosive Anti-Tank.
Les premières applications demeurent du fait des britanniques qui développent la grenade à main Mk.68 capable de percer 50 mm de blindage. Des performances impressionnantes pour la fin des années 1930 mais qui ne sont rarement atteinte sur le terrain. Difficile en effet de lancer le projectile de façon à ce que la charge creuse frappe son objectif de manière optimale.
Le tir d'un tel projectile par un canon semble alors un bon moyen pour obtenir une trajectoire rectiligne. Les ingénieurs se heurtent toutefois à la trop grande vitesse initiale des munitions d'artillerie. En effet, si la vitesses des obus HEAT est trop élevée, la charge explosive n'a pas le temps de générer un jet à une température suffisante. Pour être efficace, une charge creuse doit donc exploser à une distance précise par rapport au blindage. Si elle explose trop tard, le jet perforant n'aura pas le temps de se former. Si elle explose trop tôt, le jet tend à s'évaser et perd alors son pouvoir perforant. De même, l'utilisation d'un tube rayé implique un mouvement de rotation du projectile qui gène la formation du jet et réduit d'autant son potentiel. Après guèrre, l'institut franco-allemand de Saint-Louis contournera ce problème en mettant au point l'obus "G" à charge creuse et stabilisé sur sa trajectoire.
Vous l'avez compris, un projectile à charge creuse renferme un cône évidé dont la forme et les matériaux sont de types variés et le plus souvent laissés à la discrétion du fabriquant. Généralement, sa face interne est recouverte d'un mince plaquage de cuivre ou d'aluminium. Une masse explosive est placée derrière ce cône avec son détonateur qui est activé par une mise à feu logée dans l'ogive de façon à ce que la charge explose à la distance optimale du blindage afin que la puissance de pénétration soit maximale. Lorsque la charge explose, une onde de choc se déplace vers l'avant et commence à comprimer le cône métallique par son sommet, créant ainsi un jet de gaz chaud, aussi appelé "dard" ou "slug" en anglais.
Ultra concentré et chargé de particules métalliques ( celles du revêtement ), le jet se focalise sur un point précis de la cuirasse. Lors de l'impact sur une plaque de blindage, les pressions produites par le "dard" au point de contact sont de l'ordre de plusieurs centaines de kilobars. Les contraintes qui en résultent sont alors bien supérieures à la résistance de l'acier, qui finit alors par s'écarter. Au cours de ce processus; la pointe du "dard" est détruite et remplacée par du matériau sous-jacent. Comme ce nouveau matériau à une vitesse moindre, son énergie est plus faible de sorte que le diamètre du trou diminue. Ce qui explique la forme conique du trou formé par une charge creuse.
Si le "dard" réussit à percer le blindage, il cause des dégâts par effet direct en projetant à l'intérieur du char des morceaux de métal en fusion dans toutes les directions ou par broyage en arrachant des fragments à l'arrière de la plaque de blindage. De manière générale, les ingénieurs en armement estiment qu'un projectile à charge creuse transperce une épaisseur de 3 à 4 fois son diamètre. L'utilisation de nouveaux composants permet d'accroître encore ces performances et certaines armes pourraient transpercer jusqu'à 5 fois leur diamètre. Le trou créé sur la face extérieure du blindage n'est alors guère plus gros qu'un crayon.
L'histoire des techniques guerrières se résume à celle de la lutte incessante entre le bouclier et l'épée, la cuirasse et le boulet. La mise en service des projectiles utilisant l'énergie chimique pour transpercer les cuirasses a un temps laissé la primauté au boulet mais les progrès récents des blindages ont semble-t-il redonné la prééminence aux chars de combat face aux charges creuses. Une thèse battue en flèche par les fabriquant d'armes antichars qui considèrent que les nouvelles générations de projectiles, comme les missiles utilisant des charges en tandem, sont parfaitement aptes à détruire leurs objectifs.
Quoi qu'il en soit, les armes à charges creuses restent l'instrument privilégié du fantassin face aux chars de combat.