Revenons quelques temps en arrière. Au début des années trente et jusqu’à ce que la menace d’une nouvelle guerre en Europe ne devienne évidente, la priorité du Royaume-Uni concernant les blindés est de produire des machines rustiques afin que l’Armée puisse les utiliser dans le cadre de ses opérations de maintien de l’ordre aux confins des colonies. En outre, les restrictions budgétaires sont telles que les moyens dont dispose le Tank Corps sont à peine suffisant pour développer quelques prototypes et les tester.
De plus et pour ne rien arranger, le «moteur-combattant» apparaît comme étant impopulaire auprès de la majorité des commandants de l’époque. Victime d’une sorte d’orthodoxie doctrinale, ceux-ci ne voient la guerre qu’au travers de leur propre expérience de 1914-1918. D’ailleurs, à Londres, ne dit-on pas dans les milieux autorisés qui président aux destinées de l’Armée de sa Majesté « qu’une guerre commence comme la précédente s’est achevée » ? Certitude par ailleurs partagée par les militaires de toutes les puissances européennes, hormis les allemands.
En 1934, le Master General of Ordonnance se trouve être Sir Hugh Elles, l’un des pionniers de l’histoire des chars d’assaut. Ayant été aux commandes du Tank Corps lors de la bataille de Cambrai, il est l’un des spécialistes expérimenté des blindés du premier conflit mondial. Toutefois, Elles et son direction de la mécanisation, le Major-General Davidson, sont des hommes prudents et circonspects. Ils sont loin d’avoir été convaincus par les expériences qui se sont déroulées dans les plaines de Salisbury, théâtre du déploiement de la première force mécanisée de l’histoire.
Aussi, les deux hommes voient le prochain conflit comme une réédition des engagement de 1917, opérations pendant lesquelles les chars ont essentiellement eu un rôle d’appui de l’infanterie. Si bien que leur projet consiste à doter l’Armée britannique d’un blindé capable de tenir ce rôle. Ils se distribuent le travail. Davidson, en tant qu’ingénieur, se charge du volet technologique tandis que Elles s’occupe de l’aspect tactique. Selon ce dernier, le rôle du char d’infanterie est d’ouvrir la voie aux fantassins. Il ne se préoccupe pas des problématiques générées par les combats entre les chars eux-mêmes.
En son âme et conscience, l’officier estime donc que l’armement principal doit être au maximum une mitrailleuse Vickers et que le nouveau véhicule aura à être immunisé contre les armes antichars de petits calibres. Pour corroborer son analyse, Hugh Elles consulte Percy Hobart, inspecteur du Royal Tank Corps et créateur, plus tard, des chars spéciaux Funnies prévus pour le débarquement de Normandie. Hobart suggère ainsi un choix en deux volets.
Sa première proposition est de sélectionner un char armé d’une mitrailleuse Vickers d’un calibre 0,303 ( 7,90 mm ) ou à la rigueur d’une mitrailleuse 12,7 mm afin de lui donner une capacité antichars, certes toute relative. Ce dernier doit être mobile, pouvoir passer le plus inaperçu possible sur le champs de bataille ( donc pas trop haut ) et servir de poste de mitrailleuse mobile capable d’appuyer les assauts des fantassins par ses feux, si possible sur les arrières ou les flancs des positions ennemies. C’est le concept du char léger plus ou moins dérivé de l’idée de la tankette qui a fait fureur en Grande-Bretagne quelques années plus tôt. Cette idée donnera naissance, entre autres, aux petits chars Vickers Mk IV.
La seconde option proposée par Hobart est de choisir un char lourdement blindé, armé d’un nouveau canon antichar de 40 mm et capable de tenir tête aux blindés de l’ennemi. Fort de son expérience française lors de la Der des Ders, Hugh Elles favorise l’idée d’appuyer les fantassins mais, comme il doit faire avec des budgets congrus, il donne la priorité à un char de petite taille. En somme, il opte pour une réédition du FT-17 français mais mieux blindé et à la sauce anglaise.
Cette décision est encouragée par les dirigeants de la firme Vickers-Armstrong dont les ingénieurs possèdent déjà une expérience considérable quant à la conception des chars légers.