Tandis que le moindre panzer lourd, même produit à quelques exemplaires, suscite systématiquement un grand intérêt, il est des chars oubliés par les amateurs de matériels miliaires, peut être parce qu'ils ont comme seul défaut de ne pas avoir été assemblés dans les usines du Reich. Le A39 Tortoise fait partie de ceux-ci. Ses caractéristiques techniques lui auraient pourtant permis de soutenir la comparaison avec les fauves allemands, mais le cours de la guerre en aura décidé autrement.

Fin 1942, l'Armée britannique conserve un souvenir douloureux des combats livrés contre l'Afrika Korps. Buttant contre les immenses champs de mines, pulvérisés à longue distance par les obus de 88 mm de la Flak, Crusader, Matilda et autres Sherman n'ont pu qu'avouer leur impuissance face aux défenses en profondeur de Rommel. Les victoires ont été onéreuses et les défaites magistrales. Et comme si tout cela ne suffisait pas; le 10 décembre 1942 apparaît en Tunisie l'une des plus effroyables machines de guerre allemandes : le char Tigre.

Si les Allemands sont finalement éconduits d'Afrique du Nord, l'Armée britannique a grandement besoin d'un char lourd plus efficace afin de combler son retard dans la guerre à l'armement. Dans un mémorandum daté du 23 avril 1943, les autorités militaires anglaises tirent les premières grandes lignes d'un char de rupture capable d'être engagé dans un environnement antichar dense. Dans un premier temps, il est envisagé, afin de gagner des délais, de dériver ce projet d'un char lourd déjà existant comme le Churchill ou les prototypes TOG mais leur conception d'un autre âge en font de mauvais candidats. Toutefois, deux prototypes basés sur le châssis du Valentine sont construits sous le nom d'A38 Valiant mais sont classés sans suite de part leur puissance de feu et leur protection jugées insuffisantes.

Winston Churchill se mêle alors au projet et demande la mise en service d'un blindé lourd de 60 voire 80 tonnes capable de percer les lignes défensives allemandes. Cette volonté cible à moyen terme le Mur de l'Atlantique et la ligne Siegfried qui seront des obstacles majeurs à passer. Commence alors une valse de prototypes puisque pas moins de 18 engins entrent en concurrence. Si les travaux débutent rapidement, ingénieurs et militaires n'arrivent pas à s'entendre sur les caractéristiques du blindé. Malgré tout, le 13 mai 1943, une première esquisse d'un char de 45 tonnes équipé d'un canon en tourelle est présentée à Londres. De ce premier jet, il ressort la nécessité d'abandonner la tourelle au profit d'un canon en casemate.