La mobilité sur sol meuble a toujours été le point fort des blindés soviétiques. Bien aidé par sa suspension Christie et des chenilles larges, le T-34 a régulièrement surclassé ses adversaires en tout-terrain. Pourtant, les chars russes souffrent, eux aussi, de la surcharge pondérale induite par la nécessité de disposer de cuirasses plus épaisses et de canon toujours plus gros. Malgré une pression massique encore raisonnable, les 48,8 tonnes d’un IS-3m le rendent pataud, et désespérément lent, lorsque le sol se transforme en un cloaque bourbeux ou neigeux. Comble de l’horreur pour Moscou, le climat parfois extrême maintient des secteurs entiers du territoire national inaccessibles aux véhicules frappés de l’étoile rouge, laissant l’infanterie se débrouiller seule face à un éventuel envahisseur. La solution à tous ces maux passe par la mise en chantier d’un blindé capable de se porter dans des zones où l’ennemi ne l’attend pas.
Début 1956, le ministère de la Défense soviétique projette d’acquérir un blindé lourd de nouvelle génération de la classe des 50 à 60 tonnes. Les chars issus de la Grand Guerre patriotique sont effectivement mal considérés par la troupe et en dépit de constants programmes de modernisation, les IS souffrent de problèmes chronique de fiabilité ainsi que d’une ergonomie déplorable. Ils sont également estimés en retrait par rapport aux modèles occidentaux. L’apparition du T-54, doté du performant canon de 100 mm et d’un châssis efficace relative d’autant l’intérêt de ces massifs et peu manœuvrables blindés. En outre, le coût financier tend à s’envoler. Un IS-4 est par exemple 3 fois plus cher qu’un IS-3, sans vraiment se montrer supérieur.
En 1957, dans le but de contrer l’arrivée des M103 américains et Conqueror britanniques, les autorités communistes ouvrent un appel d’offre pour un projet destiné à remplacer les «Staline» et leur tube de 122 mm. Les usines Chelyabinsk proposent un prototype très inspiré de l’IS-3 : l’Objekt 770. Il adopte un dessin moderne mais ne sort cependant pas des sentiers battus et brille finalement par son classicisme.
En parallèle, le bureau d’étude de Kirov planche sur une plate-forme susceptible de se mouvoir sur tous types de terrains. Face à ce défi technique, les ingénieurs vont s’inspirer de travaux américains réalisés sur le monstrueux mais peu manœuvrable T-95. Le prototype russe, référencé Objekt 279, reprend donc à son compte le train de roulement, constitué de deux paires de chenilles, inauguré par le canon automoteur made in USA. En revanche les chenilles sont positionnées sous le plancher, tandis que sur le T-95, elles sont sur les côtés. Le poids est de cette manière plus harmonieusement réparti. Les 4 voies du train de roulement sont montées de part et d’autre de 2 poutres longitudinales rectangulaires. Elles ont la particularité d’être creuses, de façon à servir de réservoir à carburant. Cette configuration autorise une réduction de la pression au sol, tout en améliorant la motricité lors de progression dans des zones peu porteuses. En revanche, cette disposition a comme inconvénient de rehausser la silhouette par son positionnement ventral.
Pour ne pas être en reste technologiquement, la suspension est de type hydropneumatique. Un mécanisme complexe, qui est réputé gommer les aspérités du relief. En termes de gabarit, l’ensemble du dispositif a un coût. En effet, les mensurations sont conséquentes, avec une longueur de 6,77 m ( 10,24 m avec le canon ), une largeur de 3,4 m et enfin une hauteur de 2,64 m. Cependant, contrairement à un T-54, l’ergonomie n’a pas été trop sacrifié sur l’autel de la discrétion. Certes, le confort de l’habitacle n’atteint toujours pas les standards occidentaux, mais l’Objekt 279 reçoit des appareils anti-incendie et des détecteurs de fumée plus élaborés que sur le nouveau char moyen. Comble du luxe, son habitacle est doté d’un appareil de chauffage et, sous réserve, d’un climatiseur. Un progrès sensible en comparaison de la rusticité d’un IS-3m.