Le char de rupture T-28 est, à bien des titres, une exception dans la prolifique lignée des chars russes. Premier blindé moyen assemblé en série par l’Union Soviétique, premier et dernier char multitourelle produit en grande quantité au monde, le T-28 symbolise tous les espoirs que porte Moscou dans son Arme mécanisée. Prometteurs, les chars restent néanmoins un domaine réservé aux grandes puissances occidentales, elles mêmes incertaines de la stratégie à adopter en présence de ces nouveaux véhicules.
En 1930, l’Armée Rouge aligne un parc chenillé relativement léger, composé essentiellement de chars T-18 descendant du Renault FT-17, dont un exemplaire a été capturé en 1919 durant la guerre Russo-polonaise. Plusieurs programmes sont alors menés afin de doter l’Armée Rouge d’un blindé moyen destiné à appuyer les T-18.
Le T-19, dont les travaux ont été lancés à l’été 1929 sous l’impulsion de la haute autorité politique soviétique, accuse cependant de sérieux retards de développement. De son côté, l’usine de locomotive KhPZ met au point le T-12 puis le T-14, version agrandie du T-18. Peu fiable, sa production se limite à 25 exemplaires, qui ne verront jamais le combat. Déplaisant à Moscou, ces relatifs échecs sont pourtant bénéfiques aux bureaux d’études, ceux-ci acquérant un savoir-faire certain dans l’élaboration de blindés, étape primordiale pour des techniciens n’ayant aucune expérience en la matière.
Entre mars et mai 1930, l’équipe de l’ingénieur Semyon Guinsburg part pour les usines Vickers, au Royaume-Uni, afin de négocier l’achat de matériels militaires et de licences pour l’Armée Rouge. Parmi les véhicules intéressant fortement les Soviétiques se trouve le Vickers 16-Ton A6, armé d’un canon de 47 mm, d’une mitrailleuse dans la tourelle principale et de 2 autres mitrailleuses, placés dans des petites tourelles à l’avant du char. Initialement, une troisième tourelle également armée d’une mitrailleuse devait être installée à l’arrière mais elle fût supprimée pour ne pas alourdir le châssis.
Le concept de char multitourelle bat alors son plein, et le Vickers A6 est à la pointe de la technologie. Présenté en 1927, le blindé n’est pas exempt de défaut malgré tout : sa suspension inadaptée et son centre de gravité mal placé rendent sa progression en tout-terrain particulièrement délicate. Néanmoins, le Vickers A6 est, à l’époque, le dernier aboutissement de la philosophie «multitourelle».
L’enthousiasme des Soviétique se heurte alors à l’opposition de Vickers, alimentée par Londres, soucieuse de préserver les innovations industrielles et techniques entourant l’A6. Afin de le dissuader, Vickers demande un prix exorbitant de 20 000 livres Sterling uniquement pour examiner la conception et la production. Une précommande de 10 exemplaires désarmés ( 16 000 livres Sterling ) et l’achat d’un certain nombre de chenillettes Carden-Loyd Mk IV et de Vickers 6-Ton portent le contrat proposé par Vickers à plus de 40 000 livres, soit 400 000 roubres-or, une somme colossale !
Abandonnant les tentatives d’achat, Moscou alors dans ces conditions pour une conception locale, fortement inspirée des notes et plans élaborés à partir du Vickers A6. Le 1er décembre 1930, l’ingénieur Guinsburg rend un rapport précisant que les caractéristiques du char britannique répondent tout à fait aux besoins de l’Armée Rouge.